Vestibular UFF 99 - 1ª Etapa - Prova de Francês

	Ils se sont mariés une première fois, ça a échoué.
	Ils ont récidivé et... ça semble marcher. Le
	deuxième mariage serait-il le bon?
	Les Anciens représentaient l’amour comme
5	un petit dieu ironique, décochant ses
	flèches en éclatant de rire, souriant à
	pleines fossettes de voir se précipiter les hommes
	et les femmes les uns vers les autres avec tant
	d’enthousiasme, de joie, de certitude. Que dit-
10	on quand on aime? On dit: «C’est pour toujours.»
	Et l’on répète, peut-être pas tant pour l’autre
	que pour soi-même: «Mon amour, mon amour,
	mon amour...», grand mot magique qui contient
	en lui l’éternité, grand mot magique aussi rond
15	et puissant qu’un boulet de canon destiné à
	traverser le temps, sans rien pour l’arrêter, le
	détourner. On dit, quand on aime: «Je n’aime
	que toi, et je t’aimerai éternellement jusqu’à la
	fin du monde.» Et on le dit parce qu’on le pense,
20	parce qu’on le sent. Avec l’amour, on entre dans
	le monde de la croyance magique.
	Puis le temps fait son oeuvre, en souriant
	lui aussi. Et peu à peu, la rencontre, qui vous
	avait fait entrer dans ce monde magique de
25	l’intimité, n’opère plus de la même manière.
	«C’est le quotidien qui tue l’amour», disent les
	poncifs. Non, ce n’est pas «le quotidien»: c’est
	le temps qui fait alterner magie et mort, énergie
	et passivité, désir d’intimité et nécessité de
30	solitude. Quand on aimera une deuxième fois,
	le processus se mettra en branle une nouvelle
	fois. Et, comme si nous n’avions rien connu,
	comme si nous étions éternellement innocents,
	nous y croirons à nouveau à cet amour éternel.
35	Et nous y croirons la troisième fois, la quatrième,
	la cinquième... Le second mariage, est-ce le bon?
	Non. Chaque mariage est le bon, chaque amour
	est le bon.
	François de Singly, sociologue de la
40	famille, est l’auteur, entre autres, du «Couple et
	la famille» Pour lui, le couple d’aujourd’hui a
	de nouvelles exigences.
	MARIE CLAIRE: Pensez-vous qu’il y ait
	énormément de différences entre les premiers
45	couples que l’on forme et les seconds?
	FRANÇOIS DE SINGLY: Les couples ne sont pas
	comparables entre eux. Lors du second mariage,
	on est par définition plus âgé,plus mûr, notre
	vie professionnelle est plus installée, bref il y a
50	plein de facteurs qui rendent la comparaison
	impossible. Mais je peux faire quelques
	remarques. On observe qu’une femme, lors de
	son second mariage, retrouve la plupart du
	temps le niveau social qu’elle avait lors de son
55	premier mariage. En revanche, lors du deuxième
	mariage,l’écart d’âge entre l’homme et la femme
	est souvent plus important. Entre 20 et 30 ans,
	une femme se marie avec un homme qui a de 0
	à 5ans de plus qu’elle, alors que lors du second
60	mariage son mari peut avoir 10 ou 15 ans de
	plus. La jeunesse de la femme — une femme de
	45 ans est une jeune femme pour un homme de
	60 ans — est, dans notre société, toujours vécue
	comme un capital.
65	M.C.: Pensez-vous que l’on réfléchisse plus
	profondément avant de se marier pour la
	seconde fois et que cela donne plus de chances
	de durer à la seconde union?
	F. DE S.: Entre le second et le premier mariage,
70	généralement on vit seule un certain temps,
	période que l’on met à profit pour se
	reconstituer,pour réfléchir. Cette pause devrait
	permettre de développer une plus grande
	vigilance dans ses choix futurs, mais la raison
75	et l’amour, ça ne fait pas forcément bon ménage!
	Donc je ne suis pas sûr que le problème soit là,
	on se marie probablement la seconde fois dans
	le même élan d’enthousiasme, sans plus de
	réflexion car ainsi est fait le jeu de l’amour.
80	Une des caractéristiques des années 90 est que
	le couple doit être le lieu où les deux partenaires
	peuvent s’épanouir individuellement.
	Aujourd’hui, le héros de la famille, c’est
	l’individu, ce qui n’était pas vrai autrefois, par
85	exemple dans les années 70 où nous nous
	trouvions plutôt devant une revendication
	égalitaire: partage des tâches, des devoirs et
	des plaisirs.
	La grande revendication actuelle est que
90	le conjoint nous permette de devenir nous-
	mêmes, "de nous sentir vivantes". Donc un
	couple est jalonné de crises identitaires vécues
	alternativement par chacun des conjoints qui
	se pose la question de savoir si son couple lui
95	permet d’être soi. Si la réponse est non, le couple
	risque de se séparer, et ces séparations ne seront
	d’ailleurs pas forcément vécues comme des
	échecs mais comme des étapes nécessaires pour
	arriver à être soi. De ce fait, on comprend qu’il
100	y ait des seconds et même des troisièmes ou
	quatrièmes mariages, qui ne sont pas meilleurs
	que les précédents; simplement, comme on
	évolue, il y a, à certains moments, la nécessité
	de changerde partenaire pour en trouver un en
105	face de soi plus adéquat avec ses aspirations.
	Je pourrais donc conclure que le second
	mariage est le meilleur quand c’est celui qui
	remplit notre présent. Mais peut-être dans
	dix ans nous marierons-nous pour la troisième
110	fois en pensant qu’évidemment, le bon, c’est le
	troisième!

	MARIE CLAIRE no 550, Juin 1998.